Entre le grain et le pain, comment la meunerie belge nourrit son avenir

06.03.2023

On mange du pain depuis la nuit des temps. Pourtant on oublie souvent que derrière la magie d’une mie savoureuse et nutritive se cache aussi le savoir-faire du meunier. Loin des images d’Épinal des moulins à vent du siècle passé, la meunerie belge est un secteur technologique et innovant, tourné vers l’avenir, et qui, malgré les défis, mène avec passion sa mission :  nourrir sainement les consommateurs.

L’Association Royale des Meuniers Belges a rejoint récemment les 26 autres secteurs affiliés à Fevia. A cette occasion, nous nous sommes entretenus avec Guy De Mol, son président, et Petty De Sloovere, sa secrétaire générale, sur le futur de la meunerie mais également sur la durabilité du secteur. Et parce qu’il n’y a pas de bon pain sans bonne farine, nous avons demandé à Eddy Van Damme, président de Bakkers Vlaanderen, l’association flamande des boulangers, de nous partager sa vision de la meunerie. 

 

Fondée en 1913, l’Association Royale des Meuniers Belges (ARMB) est composée de dix moulins principalement familiaux, grands et petits, et représente aujourd’hui près de 85 % de la farine produite dans notre pays. En Belgique, nous produisons uniquement de la farine pour la consommation humaine. Chaque année, environ 1,2 million de tonnes de farine de froment sortent de nos moulins et sont destinées presqu’intégralement aux boulangers belges. 

En quoi la meunerie belge se distingue-telle ? 

Guy : « Avec les grands moulins européens, nous sommes une référence mondiale en matière de qualité. Depuis des décennies, nous sommes reconnus pour notre savoir-faire et notre professionnalisme. Ces atouts nous permettent d’offrir à nos clients une farine de qualité sanitaire irréprochable et de grande stabilité dans le temps. Par ailleurs, nous avons longtemps été une plateforme logistique axée vers l’export et nous continuons à offrir des services de transport efficaces à prix compétitifs. » 

Comment les meuniers belges ont-ils réussi à maintenir ce niveau d’expertise au fil du temps ?

Guy : « Par l’innovation, d’abord, et par le professionnalisme de nos membres ! J’insiste fortement sur ce deuxième point car il est crucial. En raison de la législation stricte et avant-gardiste de l’Europe sur des questions sanitaires, environnementales ou sociales, nous avons toujours dû faire évoluer nos pratiques industrielles. Notre métier est d’une très grande complexité et requiert une formation continue. Nous travaillons avec le vivant, et en fonction des aléas climatiques, nous devons composer chaque année avec des blés aux caractéristiques différentes.

Quels types de moutures et quels mélanges proposer cette fois à nos boulangers pour qu’ils puissent façonner les pains et pâtisseries chers à leurs clients ? Comment rencontrer les nouvelles tendances des consommateurs en matière de nutrition et de santé ? A côté de ces questions, nous devons assurer une qualité sanitaire de farine irréprochable face aux risques qui pèsent justement sur cette matière vivante (champignons, parasites, pesticides). Cela nécessite des investissements conséquents pour mener des analyses de précision et une expertise au sein de nos moulins. » 

Eddy Van Damme, président de Bakkers Vlaanderen, la fédération flamande des boulangers. « La farine belge est d’une qualité exceptionnelle : non seulement elle est d’une grande stabilité, mais elle est également très sûre. Elle remplit toutes les exigences des boulangers professionnels et grâce à elle nous pouvons nous consacrer pleinement à notre métier et continuer à satisfaire quotidiennement nos clients.

Entretenir une relation de proximité entre nos deux secteurs est d’ailleurs capital : nous serions ravis de bénéficier davantage de l’expertise des meuniers et d’échanger plus régulièrement sur nos pratiques. Par exemple, sur les risques sanitaires liés aux petites productions de farine à la ferme ou sur la composition et la valeur nutritionnelle des farines. Mais aussi pour préparer l’avenir, notamment en ce qui concerne les farines du futur, comme la farine de haricot qui aurait des propriétés nutritionnelles et environnementales prometteuses. » 

Face aux crises des dernières années, quel est votre constat sur la situation de la meunerie et quelles solutions entrevoyez-vous ?

Petty : « Après les deux années de Covid qui ont affaibli notre secteur, l’arrivée de la guerre en Ukraine et ses conséquences en matière de coûts énergétiques et de disponibilité des matières premières, a été un sacré coup de massue pour nos meuniers, mais aussi pour nos clients boulangers. Nous continuons, en Belgique, à souffrir d’un handicap compétitif par rapport à nos pays voisins, et nous courons le risque de voir disparaître tout un pan de notre économie...et de notre savoir-faire. Devrons-nous demain importer nos farines et nos pains de l’étranger ? Il faut aider les meuniers à continuer de se professionnaliser, soutenir l’innovation et diminuer le coût du travail. 

Par ailleurs, le secteur de la boulangerie peine à attirer des jeunes talents. C’est l’image du métier mais aussi tout un système qu’il faut faire évoluer, afin de répondre aux préoccupations légitimes de la nouvelle génération de bénéficier d’un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée. »

Quel rôle joue l’Association Royale des Meuniers Belges pour préparer l’avenir et répondre aux défis du secteur ?  Comment l’affiliation à Fevia y contribue-t-elle ? 

Petty : « Ensemble, nous sommes plus forts ! Et nous pouvons faire avancer tout le secteur dans la bonne direction. En matière de sécurité alimentaire, nous gérons le guide d’autocontrôle et le mettons à jour. Nous offrons un système d’échantillonnage mensuel centralisé et efficace, qui permet un réel gain d’efficacité. Grâce à notre intégration à Fevia, nous avons accès au savoir et au réseau d’experts de la Fédération.

Energie, climat, étiquetage, sécurité, packaging, législation sociale, compétitivité, export etc. Ils suivent de près les législations belges et européennes et défendent nos positions. Cela nous donne une grande agilité pour instruire des dossiers complexes ou préparer l’avenir. L’ARMB contribuera, par exemple, à traduire et transposer les exigences du Green Deal. Enfin, notre proximité avec le secteur de la boulangerie, membre également de Fevia, est un atout indéniable. »

Guy De Mol : « L’ARMB est une fédération reconnue auprès des institutions. Nos actions doivent refléter la voix de la majorité des meuniers pour faire face à tous les défis auxquels est confronté notre secteur et se préparer aux opportunités du futur. L’ARMB est aussi toujours ouverte à une discussion qui favoriserait un rapprochement avec les deux autres associations de meuniers. »

Comment voyez-vous l’avenir de la meunerie ? Plutôt vert ?

Guy : « Absolument ! Le futur de notre secteur, c’est la durabilité ! Pour contribuer aux objectifs climatiques exigés par le Green Deal européen, notre industrie aura d’ailleurs un rôle d’influence très clair à jouer au sein de toute la filière. Grâce à notre position centrale, nous avons la capacité de faire changer progressivement la culture du blé, en envoyant un message fort au marché en faveur d’une production avec moins d’intrants et plus locale.

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Je suis convaincu que le grand changement qui va s’opérer, c’est la transition vers une culture raisonnée, avec un blé et une farine clean label produits ici et chez nos voisins. La France a déjà beaucoup avancé en ce sens. Nous continuerons à travailler avec des blés bios ou des blés produits de manière intensive, mais c’est la culture raisonnée qui façonnera l’avenir de toute notre filière. A l’autre bout de la chaîne, grâce à la collaboration avec nos clients boulangers, nous allons emmener les consommateurs vers une autre approche de la boulangerie. »  

Une production de blé panifiable 100 % locale est-elle envisageable ?

Guy : « Pas à moyen terme, non. Nos céréales proviennent majoritairement de nos voisins français et allemands, et seulement 10 % du blé est cultivé en Belgique. Notre pays dispose cependant d’excellentes terres pour la culture du froment, mais il souffre malheureusement d’un double mal : un prix foncier très élevé, et une main d’ouvre plus chère qu’ailleurs, ce qui handicape la compétitivité du blé belge par rapport aux pays limitrophes. La part du blé local va assurément croître, et il s’agira de céréales cultivées de manière raisonnée, car elles sont une partie de la solution aux enjeux climatiques. » 

Et les consommateurs dans tout ça ? 

Eddy Van Damme : « Nos clients sont fidèles à nos produits et apprécient notre savoir-faire. Il est important de maintenir ce niveau d’exigence tout en nous adaptant aux nouvelles tendances, comme les pains multicéréales aux propriétés plus nutritives, ainsi que les nouvelles habitudes de consommation ou moments d’achat. Tant que la qualité et l’accessibilité des pains sera garantie, nos clients nous suivront. » 

Guy : « Une farine de qualité a un prix, tout comme un bon pain. Boulangers et meuniers, nous œuvrons à éduquer les consommateurs à la vraie valeur d’un bon pain et donc d’une bonne farine.  Grâce à leur comportement d’achat, ils ont le pouvoir de changer significativement la face du monde.» 

Qui sont Petty De Sloovere et Guy De Mol ?

Petty De Sloovere est depuis mai 2022 la secrétaire générale de l’Association Royale des Meuniers Belges. Elle dispose d’une expérience de plus de 20 ans dans le milieu des fédérations, notamment en tant que secrétaire générale de l’Union Royale des Torréfacteurs de Café. 

Guy de Mol est bioingénieur et propriétaire depuis 7 ans des Moulins de Statte, situés à Huy. Il est tout aussi passionné par l’industrie alimentaire en général, et l’agriculture en particulier, que par les questions environnementales et sociétales afférentes. 

Grâce à leurs forces conjointes : l’habilité de Petty à rassembler des entreprises d’horizons différents autour de projets communs, et la connaissance très pointue de Guy du métier de meunier, mais également des enjeux de toute la filière, ils forment une équipe de choc pour relever ensemble les défis de l’ARMB.