Lutte contre l’inflation : Fevia voit de meilleures solutions que le blocage des prix

13.06.2023

Afin de lutter contre l’inflation alimentaire, le Ministre de l’Economie et des Finances en France, Bruno Lemaire, est intervenu et a obtenu des « grands industriels » l’engagement de baisser leurs prix de vente au 1er juillet. Est-ce qu’une intervention publique en matière de fixation des prix serait souhaitable chez nous ? Clairement non ! Fevia épingle 4 raisons : une pression supplémentaire sur les fournisseurs à court terme, des conséquences sur l’investissement et l’emploi à moyen terme, une inflation alimentaire actuellement justifiée et un pouvoir d’achat largement protégé par l’indexation automatique des salaires. Par contre, des mesures existent afin de faire baisser les prix. Nous les détaillons dans cet article.

Le Gouvernement français se pose en médiateur de poids

Précisons tout d’abord que le cadre des négociations commerciales est très différent chez nos voisins. Là-bas, elles sont encadrées de manière très stricte au niveau législatif (Lois « Egalim »). Il y est notamment prévu que les négociations annuelles se clôturent au plus tard le 1er mars.

A la demande du Gouvernement français, les grands industriels agro-alimentaires se sont engagés à ré-ouvrir des négociations commerciales avec les distributeurs avant la fin du mois de mai, en vue de faire baisser l’inflation des produits de grande consommation dans le courant de l’été 2023. Certaines balises ont cependant été convenues : le prix de cession de leurs produits doit avoir augmenté de plus 10% dans les conventions signées au 1er mars 2023 par rapport aux précédentes conventions en vigueur, et elles doivent avoir connu une baisse du coût de l’un de leurs intrants, affectant le prix de production, de plus de 20% depuis le 1er mars 2023. Important, les PME sont exclues de ces renégociations.

Cette initiative du Gouvernement français est en fait le miroir de celle qui avait été prise dès le début de la guerre en Ukraine, lorsqu’il était très vite apparu que les coûts de production allaient grimper en flèche. En effet, les négociations commerciales entre industriels de l'agroalimentaire et grande distribution à peine achevées le 1er mars 2022, le gouvernement a convoqué l'ensemble des acteurs pour "entamer de nouvelles négociations" en raison de la flambée des coûts de production. Le ministre de l'Agriculture avait ainsi déclaré que, compte tenu de la modification substantielle des conditions économiques, les distributeurs devaient adapter les contrats les liant à de nombreux fournisseurs, sur la base d'un dialogue transparent et constructif entre les parties.

L’intervention, non-contraignante, des autorités françaises s’est donc déroulée en deux temps : un, pour sauvegarder la compétitivité des agriculteurs et des entreprises alimentaires et deux, pour soutenir le pouvoir d’achat.

Ajoutons à cela que le Gouvernement français a soutenu ses entreprises, dès juillet 2022, via des milliards d'aides directes afin de compenser la hausse exceptionnelle des prix de l'énergie. Et aujourd'hui, il met en place un fonds de 500 millions d'euros pour aider l'agriculture et l'industrie alimentaire à passer à la durabilité et à l'efficacité énergétique ainsi que pour promouvoir la compétitivité et la souveraineté alimentaire. En Belgique, le soutien des autorités, tant fédérales que régionales, a été tardif et d'ampleur très limitée.

Chez nous, la Chambre planche sur un contrôle des prix

Deux propositions de loi relatives à un encadrement des prix alimentaires ont été déposées au Parlement, l’une venant du groupe PTB, l’autre du groupe PS. Elles visent un contrôle des prix par l’exécutif, dans le cas où un problème spécifique en matière de prix ou de marges ou une évolution anormale de prix sur le marché est constatée.

Après une analyse approfondie, Fevia a émis un avis négatif sur ces projets de loi. Le gel des prix ou l'imposition d'un prix maximum pour les produits alimentaires ne répond en rien à la situation exceptionnelle que nous connaissons aujourd'hui. Au contraire, la fixation de prix maximums aurait des conséquences négatives sur l'économie et, en fin de compte, sur les consommateurs, que les projets de loi visent précisément à protéger. Ces projets de loi manquent donc leur but. Les raisons principales sont les suivantes :

À court terme, une pression supplémentaire pèsera sur les (petits) fournisseurs

Les supermarchés ont un pouvoir de négociation disproportionné vis-à-vis des agriculteurs et des producteurs alimentaires. Ces derniers seront dès lors pris en tenaille entre le gel des prix de vente aux consommateurs et l'augmentation de leurs coûts de production. La rentabilité de la production serait compromise et pourrait conduire à l'arrêt temporaire de la production, avec un impact sur l'approvisionnement alimentaire.

A moyen terme, l'investissement et l'emploi seront sous pression

Rentabilité et compétitivité vont de pair. Une baisse des taux de marge se fait au détriment, entre autres, des investissements nécessaires pour assurer la compétitivité, l'innovation et l'emploi de demain et pour apporter des réponses aux objectifs de durabilité et à aux besoins changeants des consommateurs.

Il n’y a pas d’inflation irrationnelle, au contraire

Les producteurs alimentaires n'ont pu répercuter l'explosion des coûts à laquelle ils ont été confrontés que partiellement et souvent avec beaucoup de retard. Les chiffres de l'Observatoire des prix montrent également que plus un producteur alimentaire est proche du consommateur dans la chaîne, moins il est en mesure de répercuter les hausses de coûts.

Le pouvoir d'achat des consommateurs est déjà soutenu par les entreprises

L'indexation automatique des salaires a protégé les consommateurs lors de la forte hausse des prix de l'énergie l'année dernière et de la hausse actuelle des prix des denrées alimentaires. Mais le revers de la médaille est que cette indexation salariale est payée par les entreprises, ce qui pèse sur leur compétitivité et leur rentabilité et contribue à son tour à la hausse des prix.

Optons plutôt pour des mesures qui allient compétitivité et pouvoir d’achat

Garder les prix sous contrôle passe par des mesures réfléchies visant à éliminer les handicaps structurels tels que le handicap salarial de 25 %, un coût de l'énergie plus élevé et une lasagne fiscale indigeste qui renchérit le coût de nos produits. Fevia formule quatre propositions :

Gardez les produits belges à un prix abordable par rapport aux produits étrangers

Les décideurs politiques peuvent intervenir, par exemple, en n’étendant pas la taxe sur les emballages existante, mais en la transformant en un incitant fiscal à la durabilité. La récente proposition d'augmentation de la TVA sur les denrées alimentaires dans le cadre de la réforme fiscale est également absolument hors de question, car elle entraînera une nouvelle hausse des prix des denrées alimentaires et des boissons.

Évitez le "gold-plating" et faites en sorte que les réglementations et les charges administratives restent supportables

La transposition par le trois régions des nouvelles règles européennes sur les coûts des déchets sauvages en est un exemple concret. Les producteurs belges d'aliments et de boissons doivent faire face à une charge financière supplémentaire qui n'est pas moins de cinq fois supérieure à celle de nos pays voisins ! D'autres pays européens adoptent une approche totalement différente.

Garantissez des emplois abordables et une main-d'œuvre qualifiée

Pour continuer à encourager l'emploi et à réduire les coûts de production, il est urgent de diminuer les coûts salariaux par une diminution structurelle des cotisations sociales, en mettant l'accent sur les bas et moyens salaires. En effet, c'est pour ce segment que la forte augmentation actuelle des coûts salariaux a un effet très négatif sur l'emploi.

Renforcez les relations équitables dans la chaîne

Tous les producteurs devraient bénéficier de la protection de la loi sur les pratiques commerciales déloyales (comme c’est le cas en France), car "unfair is unfair, no matter the size". Les pratiques déloyales percolent tout au long de la chaine alimentaire, y compris des grands vers les petits acteurs. Fevia demande également que la possibilité de renégocier en cas de circonstances imprévues, ce que l'on appelle "l'imprévisibilité", ne puisse pas être exclue contractuellement. En outre, nous demandons d'interdire le déréférencement abusif comme moyen de pression ou de représailles et de maintenir les pénalités logistiques dans des limites raisonnables (proportionnelles au préjudice subi, à nouveau comme en France).