Faire du commerce à l'international, est-ce bien durable ?

07.11.2022

Dans sa roadmap de développement durable, l'industrie alimentaire belge mise à la fois sur un approvisionnement plus local et une plus grande internationalisation de notre secteur. Mais miser sur l’export et le local, n’est-ce pas contradictoire ? Et ne devrions-nous pas exporter ou importer moins pour réduire notre impact sur l’environnement ? Nous avons posé quatre questions concrètes à quatre experts. 

Une alimentation locale est-elle par définition plus durable ? 

Tessa Avermaete (bioéconomiste à la KU Leuven) « En raison des changements climatiques et de la famine dans le monde, et depuis la crise du coronavirus, les consommateurs sont plus sensibles à une alimentation et production alimentaire locales. De plus, le conflit en Ukraine, avec son cortège de hausses des prix et les pénuries de diverses matières premières qui en découlent, a encore accentué cette tendance. La situation actuelle touche émotionnellement le consommateur pour qui le local, comme nos grands-parents autrefois, serait mieux pour nous et pour l’environnement. Pourtant, la science nous apprend qu’il convient de nuancer cette façon de voir les choses. »

« L'alimentation est responsable d'un quart des émissions totales de CO2 dans le monde et plus de 75 % de ces émissions proviennent de l'agriculture. Le transport de nos produits alimentaires ne représente en réalité que 6 % de ces émissions. Il est dès lors beaucoup plus important de s'intéresser à ce que nous mangeons, plutôt qu’à la provenance de nos aliments, qu'ils proviennent d’Australie, de notre potager ou de notre village. Manger local n’est donc pas nécessairement le choix le plus durable. » 

Découvrez la vidéo « Vaut-il mieux manger des fruits et légumes locaux pour le climat ? »


Dirk Jacobs (Directeur général de FoodDrinkEurope) : « Au fil des siècles, le commerce international a enrichi nos vies grâce à l'échange de traditions culinaires et culturelles. N'oublions pas non plus que le commerce est essentiel pour l'industrie alimentaire européenne, l'économie européenne et la société dans son ensemble. De plus, le commerce international, la croissance économique et le développement durable ne s’excluent pas l’un l’autre. » 

Les exportations peuvent-elles s'intégrer à un système alimentaire durable ?

Dirk Jacobs : « En tant qu'industrie européenne de l'alimentation et des boissons, notre taille, notre influence et notre réputation nous permettent de jouer un rôle de premier plan au niveau mondial et de contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable des Nations Unies. En intégrant des chapitres sur le développement durable aux accords de libre-échange, nous pouvons nous accorder avec nos partenaires commerciaux sur des principes de durabilité partagés, comme la protection de la biodiversité et l’atténuation des changements climatiques. »

Patrick Schifflers (Administrateur délégué de GHL Groupe) : « En tant qu’entreprise de découpe de carcasses de boeuf, nous voulons valoriser au mieux chaque pièce de boeuf que nous découpons. Les exportations jouent un rôle crucial à cet égard, car certaines pièces sont tout simplement plus appréciées sur les marchés étrangers où nous pouvons les vendre plus facilement. »

Manuel Goderis (Product Manager chez Belgian Pork Group) : « Il est bien connu que pratiquement rien ne se perd dans un cochon. Etant donné que diverses cultures accordent une autre valeur à différentes parties du porc, plus de la moitié de ce que nous produisons est destiné à l’exportation. C’est pourquoi nous exportons non seulement pour poursuivre notre croissance, mais aussi pour garantir que rien ne se perde et nous travaillons, dans cette optique, de façon la plus durable possible. »

Tessa Avermaete : « N'oublions pas que c'est grâce aux exportations que nous avons une industrie alimentaire et une économie fortes. Par ailleurs, les agriculteurs et les producteurs de pays lointains, comme le Sénégal ou le Bénin, veulent aussi écouler leurs produits sur le marché mondial. Il y a certains produits qu’il est préférable ne pas produire chez nous, car il est possible de les produire mieux et plus efficacement ailleurs. Nous devons cultiver les aliments là où ils sont produits de façon optimale, avec le climat, le sol et les conditions extérieures les plus adaptés. »

Les entreprises exportatrices investissent-elles dans la durabilité ? 

Manuel Goderis : « Le Belgian Pork Group a annoncé en 2021 un programme d’investissement de 112 millions d'euros, dont de nombreux investissements en termes de durabilité, notamment pour réduire notre consommation d'eau et d'énergie. D’ici 2025, nous souhaitons diviser par deux la consommation d’eau sur l’ensemble de nos sites. Grâce à plusieurs parcs de panneaux solaires, nous produisons également de l’énergie verte et avons mis en service trois centrales de cogénération. 

En outre, nous investissons dans l’automatisation de nos sites, que nous avons délibérément établi dans des zones les plus centrales possible, à proximité des éleveurs de porcs familiaux qui nous fournissent les matières premières. Sur nos sites, nous centralisons un maximum sous un même toit : de l'abattage à la découpe et au conditionnement. De cette manière, nous produisons non seulement rapidement et efficacement, mais nous évitons aussi les transports inutiles. »

Lisez le food.be snacks Belgian Pork Group investit dans l’exportation et la durabilité

Patrick Schifflers : « Nous tentons, entre autres, de limiter notre consommation d’énergie grâce à des panneaux photovoltaïques et à la récupération de chaleur de notre centrale de réfrigération. Nous misons aussi sur l’épuration biologique de nos eaux usées grâce à une centrale d’épuration commune. Tant pour le marché intérieur qu’extérieur, nous regroupons également le transport de nos marchandises avec celles d'autres entreprises, afin de veiller à ce que nos véhicules roulent toujours à pleine charge et donc à réduire au maximum l'impact du transport. »

Le commerce international peut-il gagner en durabilité ? 

Tessa Avermaete : « Je vois deux opportunités pour les entreprises d'aller de l’avant. D’une part, en misant sur des modèles d’entreprise inclusifs. Les entreprises seront d’ailleurs encouragées sur cette voie à travers le « due diligence » ou le devoir de diligence dans la chaîne de valeur. Cela signifie que lorsqu’en tant qu’entreprise alimentaire, vous achetez un produit originaire, par exemple, d’Inde ou du Pakistan, vous devez savoir comment et dans quelles conditions il a été produit et en assumer la responsabilité partagée. Il s'agit ensuite de le faire savoir au consommateur. En d'autres termes, montrez que le produit a parcouru une certaine distance et que les parties impliquées sont conscientes de l'importance de la durabilité. »  

Découvrez ici les « 5 raisons de vous préparer au devoir de diligence »

« Une seconde opportunité est l’engouement pour les protéines alternatives, à partir de la prise de conscience de la nécessité d’un plus juste équilibre entre protéines animales et végétales. De nombreuses entreprises alimentaires sont prêtes à acheter des pois chiches ou du soja à l’échelon local, par exemple, et c’est à l’agriculture d’en tirer parti. Cependant, nous ne pouvons nier la réalité. Les rendements varient encore tellement d'une année à l'autre que l'industrie alimentaire n’est pas encore en mesure de s'engager sur cette voie. Des opportunités s’offrent encore à l'industrie alimentaire d’engager le dialogue avec les agriculteurs afin de prendre des engagements concrets et lancer des projets pilotes. »

Fevia organise le 9 novembre une session d'information (en français) sur les filières locales et durables de production de matières premières pour l’industrie alimentaire.
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