A table avec... Guido Bresseleers

06.06.2022

Rares sont les sujets qui font aussi vite la une des journaux que la sécurité alimentaire et ce, alors qu’il s’agit littéralement du quotidien de nos entreprises. Mais comment a évolué le contrôle de la sécurité de notre alimentation ? Nous avons posé la question à un véritable expert : Guido Bresseleers, au service de diverses entreprises alimentaires pendant près de 40 ans, a récemment pris sa retraite, mais reste actif en tant que président du groupe de travail Sécurité alimentaire de Fevia. 

Guido, qu’est-ce que la sécurité alimentaire exactement ?

« Dans notre secteur, lorsque nous évoquons la sécurité alimentaire, nous parlons habituellement de quatre dangers à maîtriser. Premièrement, nous avons les dangers microbiologiques, comme la présence de certains agents pathogènes. Nous pouvons citer par exemple Salmonella, E. coli ou Listeria. Deuxièmement, nous avons les dangers chimiques, qui ont souvent des effets à plus long terme sur la santé. Nous examinons alors certains contaminants, tels que ceux issus de la pollution environnementale ou les résidus de biocides.

Troisièmement, nous avons les dangers physiques, comme la présence indésirable d'un morceau de verre ou de métal. Et enfin, nous avons également des allergènes qui peuvent être présents par contamination croisée et présenter un risque pour certains consommateurs. »

Selon vous, comment la sécurité alimentaire a-t-elle évolué ?

« Pendant des années, la sécurité alimentaire était considérée comme une évidence et l’on pensait que lorsque les choses prenaient une mauvaise tournure, c’était plutôt accidentel. Par exemple, au début de ma carrière, une centrale nucléaire près de Kiev est partie en fumée et cette catastrophe a suscité des questions sur la sécurité de notre lait. Cette perception de l'accident de parcours a changé lorsqu'un certain nombre d'incidents se sont transformés en véritables crises sectorielles.

Il y a plus de 20 ans, nous avons connu la crise de la dioxine et aucun d’entre nous n’a oublié la maladie de la vache folle, la fraude au fipronil et le scandale de la viande de cheval. Ces crises ont donné lieu à une sorte de réveil collectif, tout d'abord pour les entreprises alimentaires et les opérateurs, mais aussi pour le gouvernement et les consommateurs.

En outre, nous avons davantage pris conscience qu'un incident peut non seulement se produire dans une entreprise alimentaire, mais aussi avoir un impact sur l'ensemble de la chaîne alimentaire. Au fil des ans, la mondialisation croissante a augmenté l’importance mais aussi la complexité de cette approche en chaîne. »

Quelle a été la conséquence de cette complexité ?

L'ampleur des échanges internationaux de nos produits alimentaires a considérablement augmenté. Et avec des chaînes plus longues et plus complexes, le risque de maillons faibles augmente, comme le dit le proverbe. Les problèmes récents liés à l’oxyde d’éthylène sont un exemple d’une telle « lacune ».  Malheureusement, il y a parfois quelques brebis galeuses qui commettent des fraudes à des fins commerciales et qui, par conséquent, créent - souvent par ignorance - un problème de sécurité alimentaire qui affecte l'ensemble du secteur. Nos chaînes ne sont pas étanches et nous en avons parfois été surpris. Toutefois, cela nous a incités à accorder une plus grande attention à l’ensemble de la chaîne et au contrôle de la sécurité alimentaire.

En quoi la gestion de la sécurité alimentaire a-t-elle changé ?

« Outre l'attention croissante des entreprises et des secteurs individuels pour la situation dans leurs chaînes d'approvisionnement, le cadre réglementaire a également évolué pour devenir beaucoup plus clair. Suite à la crise de la dioxine, la Belgique a créé l'Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaîne Alimentaire (AFSCA), une intégration positive dans le contexte belge, où coexistaient auparavant plusieurs services de contrôle, chacun opérant dans son propre domaine. »

Notre pays joue-t-il un rôle de pionnier ?

« Grâce à la création de l’AFSCA, l’introduction du système d’autocontrôle belge a permis de placer notre pays sur la carte mondiale en matière de sécurité alimentaire. Les entreprises belges peuvent ainsi - sur base volontaire - faire valider leur système d'autocontrôle selon les guides et critères sectoriels approuvés par l'AFSCA. Il s'agissait d'un développement unique en Europe et nous continuons à jouer un rôle de pionnier. Les guides sectoriels sont régulièrement mis à jour en raison de l’évolution de la législation et de l’ajout de nouveaux éléments. Parmi les évolutions récentes, nous pouvons citer par exemple l’application de techniques génétiques modernes dans le secteur alimentaire, comme le whole genome sequencing (WGS). Il s'agit d'un grand changement qui nous permet de mieux identifier les micro-organismes afin de travailler sur la détection ciblée des sources et l'analyse avancée du lien de cause à effet. Ces connaissances appliquées sont fournies aux entreprises par le biais de nos guides d'autocontrôle. Par exemple, nous travaillons actuellement avec Fevia à l'élaboration d'un nouveau chapitre pour les guides d’autocontrôle sectoriels, afin d’adopter une approche davantage préventive à l'égard de tout pathogène environnemental dans une entreprise. »

Et au niveau européen ?

« L'Europe a également réalisé des progrès importants avec la législation alimentaire générale (General Food Law) en 2002. Ce règlement et l'application subséquente de l'analyse des risques, de la traçabilité et de la notification obligatoire sont encore aujourd'hui des points d'ancrage pour l'industrie alimentaire. C’est également dans le même contexte que l'Autorité européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) a été créée. Il s’agissait certainement d'un pas en avant, mais il reste encore du potentiel pour une approche européenne plus coordonnée et uniforme de la sécurité alimentaire.

Parallèlement, nous avons assisté à l'émergence de « normes plus commerciales » par le biais de systèmes de management internationaux tels que l'IFS (International Food Standards), le BRC (British Retail Consortium) et la FSSC 22000 (Food Safety System Certification). Bien que ces normes ne soient pas reconnues par le gouvernement, elles ont certainement le mérite de promouvoir le contrôle de la chaîne et de faciliter un cadre clair entre les clients et leurs fournisseurs. »

Pourtant, il y a encore eu des incidents, même très récemment. Pourquoi ?

« Même si c’est déplorable, le risque zéro n’existe pas. Nous devons prendre conscience que les évolutions technologiques nous permettent d’évaluer de plus en plus de choses et donc d’en savoir de plus en plus également. Toutefois, toutes les informations ne sont pas toujours pertinentes.  Nous ne devons pas aller trop loin dans la tolérance zéro. » D’ailleurs, la capacité à faire la distinction et à la communiquer clairement est un véritable défi en soi !  En attendant, les conséquences pour les entreprises alimentaires concernées et pour la confiance du consommateur peuvent être désastreuses. 

Pouvez-vous donner un exemple ?

« Dans le cas de l’oxyde d’éthylène l’Europe a décidé d’adopter une tolérance zéro plutôt que de mettre en place une politique uniforme sur base des risques réels pour la santé publique. Cette approche fragmentée a entraîné une confusion et des rappels massifs. Heureusement, notre gouvernement belge a pris l’initiative d’adapter cette approche. »

Selon vous, quels sont les défis des entreprises alimentaires ?

« La sécurité alimentaire est et reste une priorité pour les entreprises alimentaires. Cependant, elle doit rester gérable, tant en termes de connaissance des nouveaux risques qu'en termes de coûts pour rester abordable. Dans ce cadre, la coopération est essentielle. Au fil des années, nous avons pris conscience que la sécurité alimentaire est l'affaire de tous dans une entreprise. Il est donc indispensable d’instaurer une communication ouverte et une véritable « culture de la sécurité alimentaire » au sein des organisations.

La coopération implique également une transparence au-delà des entreprises, avec une meilleure vision des différentes chaînes d'approvisionnement, ce qui ne sera pas facile en cette période de turbulences. Si nous devons passer à de nouvelles matières premières ou à des alternatives, de nouveaux risques peuvent apparaître et provoquer des incidents. »

Enfin, quel(s) conseil(s) donneriez-vous à vos jeunes collègues ?

« Aujourd’hui, il importe de s’impliquer dans tous les maillons de la chaîne et de motiver les individus à fabriquer des produits alimentaires en toute sécurité. Votre rôle en tant que responsable de la sécurité alimentaire est sans cesse plus large et plus complexe, en termes de connaissances et de communication. Quant à l’intégrité, elle est également essentielle. Vous travaillez avec des produits alimentaires dans le but de maintenir les risques au niveau le plus bas possible en les évaluant bien à l'avance et en les prévenant plutôt qu'en y remédiant.

Personnellement, j'ai travaillé pour plusieurs entreprises, mais j'ai toujours eu conscience de travailler pour le secteur dans son ensemble. Et vous travaillez également pour des millions de consommateurs, dont votre propre famille, vos enfants et vos petits-enfants : vous en tirez également une satisfaction. Enfin, n'oubliez pas que vous êtes aussi un consommateur qui veut profiter sans souci - ou plutôt en toute tranquillité d’esprit - d'aliments savoureux et sûrs.